Les tensions énergétiques dans les Balkans
- Johann Lempereur
- 28 oct. 2022
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 1 nov. 2022
Dans les Balkans, les tensions qui opposent les nations entre-elles sont nombreuses. D'abord, les déchirures ethniques et religieuses, causes des guerres balkaniques des années 90', continuent toujours d'affaiblir les nations de la région. Cependant, le territoire, loin d'être seulement un espace vital pour les différentes ethnies de la région, est aussi un terrier riche en sources énergétiques. L'exploitation du territoire terrestre, souterrain et maritime est clé pour les différents États. Or, ces ressources limitées sont elles-mêmes la cause de nouvelles rivalités qui s’ajoutent à celles existant déjà.
La guerre en Ukraine a beaucoup bouleversé les équilibres énergétiques existant en Europe. Dans les Balkans, cette situation n’est pas tout à fait nouvelle. Le prix du gaz ayant drastiquement augmenté suite au blocus russe ne dérange pas le quotidien d’une grande partie des populations locales, habitués aux coupures de courant. Les régions du Kosovo et de la Bosnie-Herzégovine, par exemple, les subissent depuis des années. Face à l’augmentation constante de la consommation énergétique civile depuis l’éclatement de la Yougoslavie, les industries énergétiques n’ont pas su s’adapter. Les modes de productions locaux n’ont pas évolué et sont toujours basés sur une production énergétique à partir de pétrole et de charbon.
L’Union Européenne, trop occupée à gérer ses propres problèmes liés à la crise du gaz, ne pourra pas aider les pays des Balkans alors livrés à eux-mêmes.
Outre l'aggravation actuelle de la crise énergétique, quelles sont les tensions énergétiques existant dans la région des Balkans ?
Cet article, divisé en deux idées principales, évoquera d’abord les nombreux problèmes liés aux exploitations énergétiques déchirant actuellement les pays de la région, ainsi que la crise de pollution qui touche les populations locales.
Les nombreux problèmes liés aux exploitations énergétiques
Tout d’abord, bien que la région des Balkans possède déjà un système d’exploitation des ressources énergétiques présentes sur leur territoire, celui-ci s’avère grandement affaibli. En effet, les Balkans sont une région riche en ressources. Pourtant, les pays ne semblent pas pouvoir en profiter. En Albanie, les turbines thermiques ne produisent plus assez. Vieilles, elles polluent et ne peuvent plus tourner à plein régime. Pourtant, le pays possède en son sol les gisements de lignite pouvant permettre d’alimenter ces turbines. Au Kosovo, des gisements de millions de tonnes de minerais rares dorment en attendant que les gouvernements puissent investir l’argent nécessaire à leur exploitation. Le manque de moyen financier empêche toute exploitation des ressources locales (Svetchine, 2015). Or, le manque d’énergie aggrave la situation économique des pays de la région. Ce cercle vicieux ne s’achèvera pas tant qu’une coopération régionale n’est pas mise en place par les gouvernements locaux.
Mais, outre le manque de financement, l’arrivée de la Russie sur le marché énergétique balkanique est un risque. Par exemple, en 2006, une première acquisition par la compagnie russe Gazprom Neft de la compagnie serbe Jugorosgaz permettait à la Russie d'exploiter le gaz dans tout le sud du pays ainsi que de le raccorder au réseau de gazoduc russo-bulgare. En 2009, le rachat de la compagnie serbe NIS permet alors à la Russie de posséder le monopole sur les gisements de gaz et de pétrole de la République de Serbie (Dorlhiac, 2014).
Face à ce dangereux monopole russe, la quête pour l’autonomie des Balkans les encourage à développer leurs propres dynamiques de développement énergétique. Des coopérations entre pays s’opèrent, comme entre l’entreprise albanaise Petromanas et la Royal Dutch Shell pour exploiter des gisements de pétrole découverts en 2013.
Mais, malgré le besoin de coopération nécessaire pour pouvoir maintenir son autonomie face au monopole russe, les pays de la région peinent à coopérer. Seuls trois pays semblent s’entraider. La Serbie, l’Albanie et la Macédoine du Nord coopèrent sur la question énergétique, mais le manque de dialogue avec les autres pays de l’ex-Yougoslavie ralentit le développement régional (Fondation Jean-Jaurès, 2022).
Enfin, les Balkans sont une région clef pour le transport du gaz. En effet, véritable carrefour de la route des gaz, les Balkans sont traversés par des gazoducs importants pour la stabilité internationale. Le gazoduc russe South Stream mis en place par la société Gazprom Neft traverse notamment la Serbie depuis l’accord bilatéral du 25 janvier 2008.
Le 28 juin 2013 est inauguré le projet de gazoduc Transadriatique Pipeline (TAP), qui permet d’acheminer vers l’Europe le gaz du pays du Caucase qu’est l'Azerbaïdjan. Celui-ci traverse l’Albanie avant de rejoindre la péninsule italienne. Sa capacité de transport est évaluée à 10 milliards de m3 par an. Loin de rivaliser avec South Stream, le gazoduc russe de la région, il permet d’offrir une alternative au gaz russe (Dorlhiac, 2014). Long de 900 kilomètres, cet ouvrage terminé en 2020 permet d’acheminer 2% de la consommation européenne de gaz (Palamara, 2022).
Une situation sanitaire grave
Cependant, face à la fragilité qui plane autour de la question énergétique, les territoires balkaniques subissent depuis quelques décennies les violences d’une production énergétique effrénées.
Tout d’abord, la pollution issue des rejets toxiques est un danger non-négligeable pour les équilibres fragiles des écosystèmes locaux. Les nombreuses usines du pays rejettent dans la nature leurs déchets sans se soucier de l’environnement. À Zenica, une petite ville de Bosnie-Herzégovine, les usines rejettent directement dans l’air les fumées toxiques non filtrées empestant et intoxiquant toute la ville. Une fabrique de cellulose locale rejette directement dans les rivières les déchets toxiques extrêmement dangereux. Non traités, ces rejets tuent tout écosystème présent et polluent les sources d’approvisionnement en eau potable des habitants locaux. Les agriculteurs voient leurs troupeaux mourir d’intoxication et les pêcheurs ne trouvent plus un seul poisson. Les autorités, absentes ou complices, donnent le feu vert au développement de toutes nouvelles usines sans appliquer les normes de sécurités pour protéger la population, la faune et la flore de tous rejets toxiques (ARTE, 2022).
Ensuite, certains projets énergétiques mis en place par les États de l’Europe du Sud-Est menacent l’équilibre de la faune et de la flore. Tout d’abord, les ressources hydrauliques, comme dans beaucoups de régions, sont la source de nombreuses tensions entre les États. Riche en fleuve et en rivières, cette région est propice à l’installation de barrages, comme sur le Danube, un long fleuve traversant plusieurs de ces nations,où sont installés plusieurs barrages comme le Djerdap 1 et 2, deux barrages construits dans les années 70' et 80’ par la Yougoslavie et appartenant aujourd’hui à la Serbie et à la Roumanie. Ainsi, la Macédoine du Nord avait pour projet de construire deux barrages sur la rivière Radika (Dorlhiac, 2014). Cette région possédant un écosystème riche et fragile se retrouve alors menacée par un projet dangereux et aux conséquences écologiques graves. Le projet a cependant été abandonné en 2015 (EJOLT, 2016). L’Albanie souhaite aussi agrandir ses installations exploitant le Drin avec un quatrième barrage ainsi que sur le Devoll, deux projets grandement dangereux pour la nature. Des ONG dénoncent les constructions intensives dans le pays, où plus de quatre cents centrales hydroélectriques contribuent à fragiliser les écosystèmes fragiles de la région (EJOLT, 2017).
Enfin, les installations de gazoducs polluent aussi énormément. Lors de sa construction, le gazoduc South Stream avait fait l’office d’une vive critique du journal Courrier International qui évoquait les risques d’une telle installation. Les coûts environnementaux pour construire pareil ouvrage ainsi que les risques de fuite de méthane dans la nature que peuvent provoquer une fuite ont poussé le journal à qualifier le gazoduc de “tube de l’Apocalypse”.
Aussi, la TAP est accusée d’avoir pollué les couches aquatiques souterraines avec du chrome hexavalent, un produit extrêmement toxique. Le béton employé pour construire l’installation, entré au contact avec l’aquifère, semble avoir pollué les sols de la région selon un rapport de l’agence régionale de l’environnement en 2017. Une action juridique a été engagée (Palamara, 2022).
Pour conclure, bien que le manque de moyen couplé à l’avarice russe mette à mal une exploitation énergétique balkanique faible et polluante, le manque de coopération entre voisins est la principale cause de la misère énergétique dans laquelle les populations et les économies locales sont plongées. Bien que quelques initiatives soient lancées entre pays amis et que des accords bilatéraux avec les puissances étrangères soient signés, le manque de dialogue entre les gouvernements de la régions bloque tout espoir de régler les enjeux énergétiques qui affaiblissent les pays de la région. La crise en Ukraine, bien qu’aggravant une situation déjà critique, ne semble pour l’instant pas pousser ceux qui se considèrent aujourd’hui comme ennemis à devenir des partenaires demain. Tant que les tensions politiques, ethniques et religieuses ne semblent pas résolues, les tensions énergétiques ne trouveront pas de solutions.
Or, la gravité des enjeux climatiques nécessitent une coopération régionale rapide pour faire évoluer les modes de productions énergétiques locaux vers une dynamique plus éco-responsable. Le mode de production reposant uniquement sur le pétrole et le charbon n’est pas une perspective de production énergétique durable pour ces pays européens.
Johann Lempereur
Sources
Dorlhiac, Renaud. « Les Balkans en quête d’un nouveau souffle : le Sud-Est européen au révélateur des enjeux énergétiques ». Hérodote 155, no 4 (2014): 98‑113. https://doi.org/10.3917/her.155.0098.
EJOLT. « Hydro Power Plant Lukovo Pole, National Park Mavrovo, Macédoine | EJAtlas ». Environmental Justice Atlas, 2016. https://fr.ejatlas.org/conflict/hpp-lukovo-pole-put-mavrovo-national-park-at-risk-macedonia/.
———. « Poçem Hydropower Dam s’est arrêté, Albanie | EJAtlas ». Environmental Justice Atlas, 2017. https://fr.ejatlas.org/conflict/pocem-hydropower-dam-albania/.
Energy issues in the Balkans and bilateral disputes, 2022. https://www.youtube.com/watch?v=WxWhoo8K2dA.
Lerin, François, et Claire Bernard-Mongin. « Introduction. L’environnement dans les Balkans : enjeux historiques et contemporains ». Balkanologie. Revue d’études pluridisciplinaires 16, no 2 (1 décembre 2021). https://journals.openedition.org/balkanologie/3710#tocto2n1.
Palamara, Luca. « Un an après, le gazoduc transadriatique est toujours contesté ». euronews, 7 février 2022, sect. news_news. https://fr.euronews.com/2022/02/07/un-an-apres-sa-mise-en-service-le-gazoduc-transadriatique-est-toujours-conteste.
Svetchine, Michel. « Kosovo : quels enjeux et quelles perspectives économiques après l’indépendance ? » Géoéconomie 74, no 2 (2015): 119‑34. https://doi.org/10.3917/geoec.074.0119.
Tensions en Bosnie | ARTE Regards, 2022. https://www.youtube.com/watch?v=t7P-3UOFcBE.
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