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L'envoie de soldats nord-coréens en Russie : Vers une mondialisation du conflit ?

  • Mathilde ARROUART
  • 5 janv.
  • 12 min de lecture

Dernière mise à jour : 8 juin

Rédigé par Mathilde ARROUART

Publiée dans le numéro 26 du Coup œil de l'AMRI (décembre 2024)

Le dirigeant nord-coréen Kim Jong Un (à droite) et le président russe Vladimir Poutine posent après une cérémonie de bienvenue sur la place Kim Il Sung à Pyongyang, le 19 juin 2024. © Gavriil GRIGOROV / POOL / AFP
Le dirigeant nord-coréen Kim Jong Un (à droite) et le président russe Vladimir Poutine posent après une cérémonie de bienvenue sur la place Kim Il Sung à Pyongyang, le 19 juin 2024. © Gavriil GRIGOROV / POOL / AFP

Dans un clip de 28 secondes posté sur X le 18 octobre par le Center for Strategic Communication and Information Security of Ukraine, Kiev avance que des troupes nord-coréennes se trouveraient au centre d'entraînement russe de Sergievsky en vue d'être prochainement déployées en Ukraine. Confirmée par le National Intelligence Service (NIS), les services secrets sud-coréens, cette information a fait rapidement le tour des médias occidentaux. Le NIS estime que cette force nord-coréenne comprendrait au moins 10 000 soldats, avec un effectif pouvant atteindre jusqu'à 15 000 hommes. 


La participation de ce corps expéditionnaire venu de l’Extrême-Orient soulève à la fois la surprise et l’inquiétude. Surprenant, car la Corée du Nord, traditionnellement concentrée sur les enjeux régionaux en Asie, notamment face à la Corée du Sud, au Japon et aux États-Unis, semble s’engager dans un théâtre d’opération bien éloigné de ses préoccupations habituelles. Inquiétant, car même si le contingent nord-coréen reste limité en effectifs, cette intervention pourrait marquer une étape vers une internationalisation accrue du conflit. Ce dernier, jusqu’ici perçu comme une guerre essentiellement occidentale opposant l’Ukraine, très largement soutenue par l’OTAN, à la Russie. Le conflit risquerait alors de se transformer en une confrontation aux dimensions mondiales, impliquant de nouveaux acteurs et une reconfiguration des équilibres géopolitiques mondiaux.


Des soldats nord-coréens reçoivent de l’équipement sur le terrain d’entraînement russe à Sergueïevka, dans le kraï du Primorié. Vidéo publiée par le Centre ukrainien de communication stratégique et de sécurité de l’information, capture d’écran. 
Des soldats nord-coréens reçoivent de l’équipement sur le terrain d’entraînement russe à Sergueïevka, dans le kraï du Primorié. Vidéo publiée par le Centre ukrainien de communication stratégique et de sécurité de l’information, capture d’écran. 

L'Axe Moscou-Pyongyang

L’ombre de l’« Axe du mal » resurgit de nouveau sur la scène internationale. Plus de deux décennies après que George W. Bush a désigné la Corée du Nord comme l’un des piliers de cet axe, Pyongyang cherche à renforcer ses liens avec Moscou. La coopération militaire entre la Corée du Nord et la Russie repose sur des bases historiques anciennes, héritées de la Guerre froide. Dès l’occupation japonaise, Kim Il-sung, grand-père du dirigeant actuel Kim Jong-un, avait trouvé refuge en Union soviétique, forgeant alors des liens personnels et politiques avec ce puissant voisin. Après la fondation de la République populaire démocratique de Corée (RPDC), ces relations se sont traduites par une coopération accrue : la capitale Pyongyang a été largement reconstruite par des architectes soviétiques, et les forces armées nord-coréennes ont été équipées d’armements soviétiques, puis russes (Bret, 2024).


Cette alliance stratégique s’est institutionnalisée avec la signature, en 1961, d’un traité d’amitié, de coopération et d’assistance mutuelle entre Pyongyang et Moscou. Il jette les bases d’une collaboration militaire durable. Ainsi, l’actuel rapprochement militaire entre les deux pays, dans le contexte de la guerre en Ukraine, s’inscrit dans une continuité historique. Toutefois, à la différence du premier traité de 1961, le nouvel accord de partenariat stratégique global entre la RPDC et la fédération de Russie, signée en juin 2024, marque un tournant. Le quatrième article du traité stipule un soutien mutuel en cas d'invasion du territoire de l'une des parties, en s'appuyant sur les dispositions de l'article 51 de la Charte des Nations Unies.


Pour appréhender pleinement cet accord, il est essentiel de le replacer dans le contexte de sa signature. Il représente l’aboutissement d’un rapprochement diplomatique significatif entre les deux pays. Ce rapprochement s'est accéléré après la rencontre en septembre 2023 de Kim Jong-un et Vladimir Poutine qui a conduit à une intensification des livraisons d’armement nord-coréen vers la Russie (Fouquet, 2024). Par ailleurs, au moment de la signature en juin 2024, la Russie n’avait pas encore été confrontée à l’offensive menée par l’armée ukrainienne sur son territoire. 


La signature du nouveau traité entre la Russie et la Corée du Nord met en lumière des visions divergentes quant à sa vocation et à sa portée. Fait rare, son contenu a été rendu public dès le lendemain par l'agence de presse nord-coréenne KCNA. Un geste inattendu qui mérite d'être souligné (Park Min-hee, 2024). Cette transparence inhabituelle semble refléter une volonté de Pyongyang de mettre en avant une alliance officielle, axée sur une coopération militaire structurelle. Moscou, en revanche, a adopté une approche plus prudente, insistant sur le caractère défensif de l’accord, conformément à ses conventions diplomatiques. Il favorise une formalisation d’un partenariat stratégique global à vocation générale plutôt qu’une alliance militaire pleinement assumée.


Ce traité dépasse le cadre d’une simple coopération militaire pour englober une collaboration bilatérale dans des domaines stratégiques. Plus particulièrement, il pourrait faciliter l’assistance russe aux programmes nucléaires et spatiaux nord-coréens, en dépit des interdictions imposées par les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies. L'article 10 de l’accord stipule en effet que les deux pays « développeront les échanges et la coopération » scientifiques, incluant explicitement les secteurs spatial et nucléaire, renforçant ainsi un partenariat technologique qui pourrait redéfinir leurs relations à long terme. (Hautecouverture, 2024).


Une Russie en difficulté ?

En août 2024, la guerre en Ukraine franchit une étape majeure avec l’offensive ukrainienne sur le territoire russe. L’attaque de l’oblast de Koursk constitue la plus grande incursion militaire étrangère sur le sol russe depuis l’opération Barbarossa menée par l’Allemagne nazie en 1941. L’objectif stratégique de cette manœuvre était clair : ouvrir un second front afin de disperser les forces russes et d’amplifier la pression sur Moscou.


Face à cette situation critique, la Russie semble avoir invoqué l'article 4 de son nouvel accord signé avec la Corée du Nord, bien que celui-ci n’ait pas encore été ratifié par la Douma. Il prévoit que « si l'une des deux parties est mise en état de guerre par l'invasion armée d'un État ou de plusieurs États, l'autre partie doit fournir sans délai une assistance militaire ». Cette activation anticipée illustre l'urgence pour Moscou de réagir face à la pression militaire ukrainienne.


Après une première phase d’entraînement, les troupes nord-coréennes ont été déployées dans la région de Koursk pour contrer l’offensive ukrainienne, sans pour autant être engagées en territoire ukrainien (Mongrenier, 2024). Ces contingents nord-coréens jouent un rôle clé dans l’effort de guerre russe : ils assurent des fonctions logistiques et défensives, permettant aux troupes russes de se redéployer sur le front du Donbass. Ce soutien est d’autant plus crucial que la Russie fait face à des pertes humaines importantes et à des difficultés de recrutement. Comme l’explique pour l’AFP, Vladimir Tikhonov, spécialiste des questions coréennes à l'université d'Oslo, ces soldats permettent de libérer des forces russes précédemment affectées aux tâches logistiques, offrant ainsi une certaine flexibilité stratégique à Moscou (Nordstrom, 2024).


Cependant, l’impact réel de ces renforts reste limité. Bien que leur nombre puisse atteindre 15 000 soldats, ces troupes nord-coréennes sont inexpérimentées et n’ont jamais combattu dans des conflits majeurs. Leur contribution, bien qu’importante sur le plan tactique, ne semble pas suffisante pour influencer l’issue globale de la guerre.


Ce déploiement pourrait aussi constituer un test pour Moscou. Comme le souligne Lee Dong-gyu de l’Asan Institute for Policy Studies, la Russie semble aussi vouloir évaluer la réaction de l’OTAN et de la communauté internationale à l’implication de nouveaux acteurs dans le conflit. 


Quel avantage pour la Corée du Nord ?

La décision de Kim Jong-un de soutenir la Russie en envoyant des troupes nord-coréennes sur le sol russe peut paraître surprenante au premier abord. Ces enjeux géopolitiques paraissent éloignés des priorités traditionnelles de Pyongyang, centrées sur l’Asie de l’Est. Pourtant, cette intervention, bien qu’audacieuse et risquée, s’inscrit dans une stratégie calculée visant à maximiser les gains du régime nord-coréen tout en consolidant sa position internationale.


L'envoi de troupes à l'étranger comporte des dangers pour Pyongyang. Sur le terrain, ces troupes ont toutes les chances de finir dans le « hachoir à viande » de la guerre en Ukraine. Hugh Griffiths, expert des sanctions nord-coréennes, avertit que ces soldats « ne seront pas bien traités et seront utilisés comme de la chair à canon. Ils réaliseront alors que c'est un aller simple, ce qui va probablement générer des défections et des désertions ». Cette désillusion pourrait être amplifiée par l’exposition à la réalité russe : un niveau de vie légèrement supérieur à celui de la Corée du Nord et un accès à des libertés jusque-là inconnues, telles que les réseaux sociaux et les télécommunications. Cette réalité très éloignée de la propagande officielle remet en cause le fondement de la légitimité de son régime. Ces soldats pourraient, en effet, réaliser que la Corée du Nord n’est pas « l’État invincible » qu’on leur a présenté.  (Nordstrom, 2024).


Malgré ces risques, les bénéfices potentiels pour Pyongyang sont immenses. En contrepartie de son soutien militaire, la Corée du Nord bénéficie d'importants avantages économiques, militaires et technologiques. 


Sur le plan financier, l’envoi de troupe représente une opportunité lucrative. Selon le NIS, le régime toucherait plus de 90 % du montant des revenus des soldats. Actuellement, les Russes qui signent un contrat avec l’armée reçoivent une prime initiale de 400 000 roubles (3 800 euros) puis une solde mensuelle de 204 000 roubles (1 960 euros). Même si les soldes sont probablement inférieurs à ces montants, les sommes promises à Pyongyang pour ses soldats représenteront une manne financière exceptionnelle pour un État sous sanctions économiques internationales. Pour les soldats, les 200 euros qu'ils pourraient toucher suffisent à inciter beaucoup d'entre eux à se porter volontaires (Daru, 2024).


Sur le plan militaire, la participation de la Corée du Nord offre une opportunité unique à son armée. Elle est l’une des plus grandes au monde avec 1,2 million de soldats en service actif, mais souvent critiquée pour son manque d'expérience sur le terrain. En déployant des troupes en soutien à la Russie, Pyongyang peut tester ses armements et expérimenter ses tactiques militaires dans un conflit moderne à grande échelle, ce qui constitue une occasion rare pour un pays isolé et sous sanctions. De plus, cette coopération permettrait aux soldats nord-coréens de bénéficier de formations avancées, notamment sur l'utilisation des drones, devenus indispensables dans les guerres contemporaines. En intégrant ces nouvelles technologies et en observant les stratégies russes, la Corée du Nord espère moderniser ses capacités militaires, renforçant ainsi son arsenal et ses compétences pour d’éventuels futurs conflits régionaux.


Recomposition géostratégique

Malgré le déni initial du représentant à l’ONU de la Corée du Nord et la tentative russe de faire passer les troupes nord-coréennes pour des soldats bouriates, une ethnie asiatique de Russie, il ne fait aujourd'hui aucun doute que ces soldats nord-coréens se battent dans la région de Koursk. 


Par sa décision d’envoyer au moins 10 000 soldats combattre l’Ukraine, le dictateur nord-coréen s’est davantage rapproché de Moscou. Une façon d'anticiper le déclin de l’influence américaine dans le monde. La participation de l’armée nord-coréenne à cette guerre a pour beaucoup été considérée comme un échec du gouvernement de Joe Biden (Courrier international, 2024). L’arrivée des troupes nord-coréennes sur le front avait motivé Joe Biden à finalement autoriser l’Ukraine à utiliser des missiles à longue portée américains pour frapper des cibles militaires en Russie. Toutefois, impossible de savoir à l’heure actuelle si Donald Trump reviendra sur la décision de son prédécesseur une fois qu’il sera au pouvoir. À Kiev, le président ukrainien estime qu’avec Trump, il est certain que la guerre se terminera plus tôt.


La Russie avait toutes les raisons de souhaiter le retour de Donald Trump. Durant sa campagne électorale, il avait fait la promesse de mettre fin aux hostilités du conflit en Ukraine en moins de 24 heures s'il était élu. À ce jour, la Russie se trouve en position de force, ce qui pourrait aboutir à la signature d’un armistice sans restitution des territoires occupés à l’Ukraine. Malgré les avancées diplomatiques durant le premier mandat de Trump, la Corée du Nord a bien plus à gagner sur le plan économique, militaire et diplomatique en s’alignant sur les positions de la Chine et de la Russie qu’en se rapprochant des États-Unis, qui ne lui offrent que très peu d’assurance. 


Toutefois, la rapide militarisation du partenariat entre la Russie et la Corée du Nord place la Chine dans une position délicate. Pékin perçoit avec inquiétude le repositionnement de la puissance russe en Asie de l’Est. Le déploiement par Pyongyang de milliers de soldats sur les lignes russes met à rude épreuve la capacité de la Chine à maintenir son influence sur son voisin doté de l’arme nucléaire. Pour Pékin, ce partenariat soulève des risques majeurs. Liée à la Corée du Nord par un traité signé en 1961, la Chine est tenue de défendre Pyongyang en cas d’attaque, non seulement par des troupes, mais aussi par « tous les moyens nécessaires » (Ferreira, 2024). Avec le soutien militaire désormais ouvertement affiché par Moscou à la Corée du Nord, Pékin craint maintenant que la Russie soit  davantage impliquée dans les affaires de la péninsule coréenne. La Chine est incontestablement confrontée au fait qu’elle perd de l’influence sur Pyongyang au profit de Moscou. Plus encore, cette militarisation de la relation russo-nord-coréenne risque de renforcer les alliances militaires entre les États-Unis, l’Europe occidentale et leurs partenaires en Asie-Pacifique. Pékin voit dans ces alliances défensives une tentative occidentale d’endiguer sa montée en puissance mondiale.


Inquiétés par les récents évènements, Tokyo et Séoul se sont rapprochés de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord. Réuni en urgence le 22 octobre 2024, le Conseil sud-coréen de sécurité nationale annonçait que des « mesures [qui] seraient prises par étapes en fonction de l’avancement de la coopération militaire entre Moscou et Pyongyang ». Il évoquait aussi la possibilité de fournir des armes létales à Kiev (France 24, 2024). Une intervention sud-coréenne serait un événement majeur pour le conflit ukrainien. La Corée du Sud est un important exportateur d'armes, d’avions de combat, d’obusiers et de missiles, qui s’est jusque-là abstenue d’en livrer à l’Ukraine, malgré la pression de ses alliés occidentaux. Le Bureau présidentiel de Yongsan a aussi évoqué la possibilité d'envoyer en Ukraine une équipe d’observation.  


Cependant, la pertinence et l’efficacité des mesures envisagées par Séoul soulèvent des questions. Si ces actions risquent de positionner la Russie en tant qu'adversaire directe de la Corée du Sud, la manière dont elles pourraient limiter les initiatives de la Corée du Nord reste incertaine. Par ailleurs, il s’agirait d’une participation de facto à la guerre. Il n’est pas sûr que le gouvernement puisse prendre une telle mesure en l’absence de l’approbation de l’Assemblée nationale. En effet, la livraison d'armes létales à l'Ukraine ne fait pas l'unanimité au sein de la classe politique sud-coréenne. Le leader de l'opposition Lee Jae-myung remet en cause leur nécessité avec l'arrivée de Donald Trump qui risque de chambouler l'issue de la guerre. Séoul ne reverra donc sa position sur les armes pour l’Ukraine qu’après l’investiture de Trump (Mesmer, 2024).


En revanche, Taïwan semble avoir opté pour une assistance militaire plus concrète à l'Ukraine. Selon les informations disponibles, Taipei aurait transféré aux forces ukrainiennes des batteries de missiles antiaériens Hawk, un système datant de la guerre froide. De plus, un traité aurait été conclu l'année dernière entre l'Ukraine et Taïwan, par l'intermédiaire des États-Unis, faisant potentiellement de l'île l'un des principaux fournisseurs de défense antiaérienne à Kiev (Courrier international, 2024).


Conclusion

Cette guerre, initialement perçue comme une confrontation bilatérale entre Moscou et Kiev, prend désormais une dimension encore plus globale avec l'implication croissante d'acteurs internationaux inattendus. L’envoi de soldats nord-coréens aux côtés de la Russie marque un tournant majeur dans l’internationalisation du conflit. Ce développement s’accompagne d’une dynamique de réactions en chaîne avec une éventuelle intervention de Séoul dans un conflit qui s'élargit bien au-delà des frontières européennes. De plus, la participation active de Taïwan reflète une modification profonde des alliances régionales en Asie et au-delà. Selon les autorités ukrainiennes, Moscou aurait mobilisé environ 50 000 hommes, incluant les soldats nord-coréens et des mercenaires yéménites, pour repousser les forces ukrainiennes après leur offensive en territoire russe (Vakulina, 2024). Ces développements bouleversent la perception du conflit, le rapprochant de plus en plus d’une guerre mondiale. Ce tournant dramatique menace la sécurité internationale. Comme l’a souligné le président ukrainien Volodymyr Zelensky dans son allocution du 5 novembre 2024, « les premières batailles avec des soldats nord-coréens ont ouvert un nouveau chapitre d'instabilité dans le monde ».


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